La Diagonale des Fous : une aventure « géographique » annuelle au coeur de l’île

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Le Grand Raid, La Diagonale des fous, 20éme édition aura lieu du 18 au 21 octobre 2012. Le Trail de Bourbon, 13ème édition a se déroulera les 20 et 21 octobre et la Mascareignes, 2ème édition, le 20 octobre 2012.

Présentation

« Cette approche géographique et historique du parcours 2010 présente un intérêt indéniable pour ceux qui considèrent que le déplacement dans la nature ne revêt pas seulement un intérêt physique. »

La « diagonale des fous » : une aventure « géographique » annuelle au coeur de l’île.

Texte de Thierry Simon, Maître de conférences HDR, Directeur du département de géographie de l’université de La Réunion.

La « diagonale des fous » s’inscrit dans une pratique sportive désormais « mondialisée » qui, par ailleurs, est devenue aussi un enjeu économique et commercial important. Mais, au-delà de ces aspects, certes importants, la course est d’abord et avant tout une aventure. Une aventure individuelle pour qui en prend le départ, un accomplissement individuel aussi pour celles et ceux qui « bouclent » le parcours et deviennent ainsi des « finishers », mais aussi, et même surtout, une aventure collective, patrimoniale et identitaire. Les « Hauts » de l’île, « support » essentiel de la course, portent en effet les traces et la mémoire de l’histoire collective et aventureuse d’un espace à part, à travers le « marronnage », mais aussi à travers la conquête pionnière de ces territoires « à part ». D’une certaine manière, renouant avec les fils du temps, les aventuriers de la « diagonale des fous » retissent une partie d’un pan de l’histoire insulaire, souvent sombre et longtemps occulté ou minoré, voire dénigré ou raillé : celui d’individus isolés, ou de familles entières, qui ont su survivre et vivre à travers les décennies, dans des conditions précaires et dans l’incertitude des lendemains, mais librement et sans entraves. Il y a bien là, chez chaque « Grand raideur » réunionnais une certaine fierté intériorisée à renouer, consciemment ou non, avec le passé de ces premiers arpenteurs des « Hauts ».

Renouer avec l’aventure…

Les efforts produits dans cette aventure volontaire, efforts conduits jusqu’à l’extrême limite pour beaucoup, ont longtemps fait le quotidien des habitants des « Hauts ». Les déplacements sur de longues distances et avec des charges conséquentes, pour aller vendre par exemple sa maigre production sur les marchés urbains, ne constituait pas un exploit, mais une pratique quotidienne et banale… Les habitants de Grand îlet ou de Bord Martin (Cirque de Salazie) n’avaient nul besoin d’un « dossard », encore moins de « chaussures de trail » coûteuses, pour franchir la redoutable paroi de la Roche écrite, avant de redescendre la « planèze » vers Saint-Denis et ses marchés. Dans leurs déplacements quotidiens vers les quelques rares écoles du cirque, les petit(e)s Mafatais(e)s, des divers îlets épars, parcouraient chaque jour des kilomètres et franchissaient des dénivelés qui leur semblaient appartenir naturellement à leur vie. Le Grand raid s’inscrit naturellement et logiquement dans cette histoire.

Cette course diffère aussi de nombre de courses de même « format ». En effet, le caractère identitaire du Grand Raid induit aussi des comportements en course qui différent sensiblement de ce qui peut se passer ailleurs et dans des circonstances comparables. Il existe en effet un certaine convivialité solidaire entre coureurs, alors que dans d’autres courses, la « concurrence » est bien plus sensible et l’individualisme bien plus marqué. Sur les sentiers du Grand Raid, des concurrents n’hésitent pas à ravitailler un camarade en difficulté, à s’arrêter – parfois longuement – pour s’enquérir d’éventuels soucis de « sant頻 ou techniques et réconforter une personne en détresse physique et/ou psychologique (ça arrive !)… ou, pour simplement « casser la blague ». Et il n’est pas rare d’entendre, même au cœur de la nuit et alors que tout le monde ou presque progresse « dans le dur », de grands éclats de rire fuser au détour d’un chemin !

Ainsi se vit annuellement cette grande aventure qui est aussi de nature « géographique », car l’île est alors traversée de part en part, par des tracés qui, en s’affranchissant des obstacles les plus considérables, permettent de révéler aux coureurs toutes les facettes paysagères des « Hauts » de l’île, même s’il est parfois difficile, voire impossible pour beaucoup, d’apprécier à leurs juste mesure les paysages traversés. Bien souvent, la vision du coureur se rétrécit progressivement aux quelques mètres carrés qui le précède, « lus » et automatiquement « balayés » avec un souci permanent des « appuis » les plus assurés… Il semble toutefois très exagéré d’avancer que : « Les paysages sont exceptionnels , mais les concurrents n’ont pas tout le temps de les admirer » . La participation d’un grand nombre de concurrents ne s’explique pas uniquement par le seul souci d’un défi physique et psychologique à relever. Pour bon nombre d’entre eux, c’est essentiellement le fait de réaliser un effort de longue durée, en altitude et dans des conditions variées, parfois imprévisibles, qui motive une participation : les paysages sont bien le support mouvant de cette traversée insulaire au long cours.

Une diagonale pour un long « transect » paysager au coeur des « Hauts »

Le tracé de la « diagonale des fous » est évolutif car il doit s’adapter, bon an mal an, à diverses contraintes. Une donnée fondamentale est à prendre en compte sur les « supports » physiques de la course : le réseau des sentiers. Ces sentiers sont soumis à des aléas multiples et se dégradent parfois jusqu’à devenir impraticables, voire franchement dangereux, notamment pour des coureurs qui se retrouvent fréquemment dans des conditions de progression très délicates : fatigue extrême (notamment lors des phases nocturnes de la cours), épuisement physique et psychologique, blessures variées, dégradation des conditions climatiques, … Des sentiers praticables de jour et en conditions normales peuvent devenir alors de véritables pièges infernaux, surtout pour les raideurs peu ou pas familiers de ces sentiers insulaires souvent très exigeants, fort peu « roulants » mais plutôt « cassants » (comme les qualifient les coureurs), voire franchement destructeurs pour certains.

Une portion du sentier emprunté plusieurs fois lors des Grands Raids et… qui laisse des traces dans la mémoire de nombreux participants : le sentier mène vers le Piton des Neiges, à l’arrière-plan, et vient de traverser longuement les formations forestières des marges du massif de Bébour Bélouve. On atteint le « coteau Kerveguen ». La végétation des « branles » est caractéristique des « Hauts » réunionnais. Le ruissellement des abondantes eaux pluviales décape le sol et met en saillie des blocs rocheux qui rendent la progression relativement difficile. (cliché : Th. Simon, 2009).

Des paysages volcaniques dans leur diversité…

De Saint-Philippe au Volcan, l’itinéraire généralement suivi par le Grand Raid permet d’opérer une traversée successive des paysages caractéristiques des « pentes externes » du volcan. Lors de la montée, une vue va graduellement se dégager sur les formes de reliefs volcaniques du massif de la Fournaise. Après avoir quitté le littoral, la montée s’effectue rapidement sur la terminaison d’une « planèze » récente du massif de la Fournaise. Ce flanc du massif est construit par un empilement, en forme de cônes entaillés par des ravines, de coulées successives de laves peu compactes, souvent friables qui rendent le terrain « cassant » pour les coureurs. Les efforts à fournir, la nuit, dans un contexte humide, boueux, encombré de racines, donne immédiatement la mesure de l’exploit qu’il faudra accomplir pour aller « au bout »…

Cette partie du massif est généralement humide toute l’année : les précipitations sont exceptionnelles et atteignent ici des moyennes annuelles situées entre 5 000 et 9000 mm/an… Le sentier est très profondément raviné et souvent délicat à négocier, surtout s’il pleut : on progresse alors dans le lit d’une ravine. Les conditions sont réunies pour qu’une végétation dense et variée se soit développée. La végétation actuelle est constituée d’un couvert forestier étagé relativement préservé. On traverse d’abord les reliques de la forêt tropicale humide de « bois de couleurs des bas », s’étendant jusqu’à environ 600 mètres d’altitude, assez profondément modifiée par l’homme (présence de pestes végétales, notamment les goyaviers). Progressivement, avec l’altitude (vers 1500, 2000 m), la végétation perd en richesse et s’éclaircit.

La « transition » vers la plaine des Cafres

Du Volcan à Cilaos, les itinéraires habituels permettent de passer d’un massif volcanique actif, encore en construction (piton de la Fournaise), à un massif volcanique ancien, largement démantelé (piton des neiges), en traversant un vaste espace de transition constitué par la « plaine » des Cafres. Les altitudes élevées – l’altitude maximale du Grand Raid a longtemps été atteinte à l’oratoire Sainte-Thérèse : 2412 m – imposent, sur cette portion du parcours, un climat difficile, voire rigoureux, en toutes saisons, avec de fortes précipitations, des brumes fréquentes et des températures nocturnes basses (généralement négatives durant l’hiver). Le couvert végétal s’adapte remarquablement à ces contraintes. Il utilise ainsi les moindres « niches » favorables pour se développer : interstices rocheux, pieds de remparts, creux abrités des vents, …

En approchant de la Plaine des sables, on découvre l’enclos du volcan. Un temps dégagé permet d’observer l’édifice volcanique de la Fournaise. Il est constitué d’un superbe cône terminal (à deux cratères accolés) dont les pentes se sont régulièrement couvertes, depuis 5000 ans, d’une succession de coulées de laves. Le « rempart » est d’origine « tectonique » : il est dû à un phénomène de cassure et à une série d’effondrements en arcs de cercles, constituant une « caldeira ». Le massif est constitué d’un emboîtement successif de « caldeiras ». Quittant la Plaine des sables (vaste remblaiement de matériaux cendreux : les lapillis), entre des volcans adventifs parfois imposants, le sentier nous conduit au pied du second effondrement majeur, le Rempart des basaltes que l’on franchit. Il offre le « feuilletage » très caractéristique d’un bouclier volcanique.

En direction du rempart des basaltes, à l’arrière-plan. Le sentier s’inscrit sur un sol minéral, couvert de bloc et de scories (lapillis) et sur lequel une maigre végétation subsiste. Au pied du rempart (nappes d’eau affleurantes et position d’abri) des tamarinaies sont installées.

Le massif volcanique de La Fournaise est venu s’adosser au « système » ancien du Piton des neiges, par le biais de la « Plaine » des Cafres, actuellement vouée au pastoralisme, enclose, dont la surface inclinée vers l’Ouest est largement ponctuée de cônes volcaniques relativement récents. Sur les pentes les plus douces, les paysages ont été ici largement transformés par la colonisation agricole des hauts au XIXe siècle : déboisements de grande ampleur et défrichements divers afin de créer des pâtures. La présence d’ajonc d’Europe, espèce introduite et très envahissante crée un paysage de landes d’altitude, dont la « parent頻 avec des paysages atlantiques européens (Galice, Bretagne, Irlande) devient frappante.

En route pour les cirques…

Le tracé innovant de l’année 2010 permet la traversée des magnifiques étendues forestières de Bébour- Bélouve : cette vaste forêt très humide, au sol particulier (humus profond, mousses) est étroitement gérée par l’ONF, comme une très grande partie des « Hauts » de l’île. Elle demeure encore exploitée (tamarins). Ce tracé est aussi l’occasion d’une brève, mais marquante, incursion dans le cirque de Salazie : le plus humide de l’île, permettant aux bambous, chouchous, bananiers de croître à foison. Cette végétation enchâsse Hell Bourg, initialement un village thermal, une belle étape qui précède une longue remontée vers le gîte du piton des neiges, par le plateau reboisé de Terre Plate et le redoutable rempart qui aboutit au Cap anglais.

Cilaos est alors atteint : un « haut lieu » du Grand Raid et une étape essentielle. C’est aussi souvent la fin prématurée du parcours pour nombre de concurrents, épuisés ou blessés, découragés ou lassés, pressés parfois de rejoindre leur famille aussi qui les attend dans le cirque. Cilaos est constitué d’un cratère fossile effondré, ceinturé de remparts, subverticaux dans leur partie la plus élevée. La partie inférieure du rempart présente à Cilaos une magnifique morphologie en « chevrons » qui témoignent d’un travail intense d’érosion. Le cirque de Cilaos, au pied du massif du piton des neiges, est en effet marqué par un apparent paradoxe : les formes de ravinement sont répandues, alors que le climat, comme la végétation, peuvent présenter des faciès secs. L’incision des matériaux des cirques est particulièrement révélée par les profondes ravines et par les fréquents mouvements de masse et glissements de terrains qui affectent le cirque, notamment lors des épisodes de fortes pluies cycloniques. De fait, l’érosion violente est à l’œuvre lors de ces seuls épisodes, alors que le cirque, sous le vent d’une barrière montagneuse de plus de 3000 m, accuse une sécheresse relative.

De Cilaos à Roche plate : là où la course « commencerait »…

On quitte Cilaos -passant près des anciens thermes- par le sentier emprunté autrefois par les « porteurs » , remontant les voyageurs au cœur du cirque, en empruntant les vallées. Ce réseau de vallées est très ramifié. Les « bras », profondément encaissés, découpent les matériaux meubles de remplissage du cirque. On a une excellente idée de l’instabilité des sols et des risques liés à l’érosion, en observant la rive gauche du « bras des étangs » que l’on longe, vers sa confluence avec « bras rouge ».

Bras rouge traversé, on entame alors une longue montée vers le col du Taïbit : un « juge de paix » pour beaucoup. Une première portion s’effectue en surplomb de bras rouge, le sentier devant sans cesse composer avec le franchissement de petites ravines. Elles entaillent cette paroi couverte d’une végétation adaptée à une relative sécheresse et à un sol pauvre et mince : filaos (casuarina), plantés par l’ONF afin de stabiliser autant que possible ces fortes pentes, chocas qui réussissent à pousser sur les versants les plus raides, utilisant les moindres failles de la roche, comme sur les flancs du « piton de sucre », aperçu avant de franchir bras-rouge.

Le sentier en surplomb de la ravine de Bras rouge : il convient de négocier ces passages vertigineux avec une grande prudence et, pour certains, il est parfois préférable de passer la nuit pour ne pas apercevoir le vide qui s’ouvre sur la droite… Les matériaux géologiques sont constitués d’une brèche volcanique très sensible à l’érosion. (Cliché : Th. Simon, 2009).

La route d’îlet à cordes franchie, la montée s’effectue alors vers l’îlet des Salazes, autrefois mis en valeur, comme les quelques replats que l’on a pu apercevoir à flanc de montagne : îlet chicot, îlet bleu, … « défrichés » isolés encore habités et exploités, témoignages encore vivants de l’ancienne mise en valeur pionnière de cet espace montagneux. Autour de l’îlet des Salazes, la végétation a été transformée par l’introduction de diverses espèces d’arbres résineux, à croissance rapide, malmenés par les vents cycloniques et par l’absence d’exploitation et d’entretien. Plus on s’élève, à partir de 1 500 à 1 600 m et plus les tamarins deviennent nombreux, couverts d’usnée (voir première fiche), notamment à partir de la « plaine des fraises ». On aperçoit désormais nettement le sommet de cette paroi que l’on va franchir au col à 2082 m, véritable cloison résiduelle qui sépare les cirques, surmontée des trois Salazes et du Nez de bœuf, zones de roches résistantes qui « arment » cette mince cloison rocheuse. Avant d’atteindre le col, on passe devant l’un des nombreux oratoires de montagne : un repère essentiel, car lorsqu’il est atteint il ne reste que quelques minutes d’ascension avant de « basculer » dans Mafate…

Au col, de jour et dans de bonnes conditions matinales de visibilité, la vue porte sur les deux cirques, on est quelque peu écrasé par la masse très imposante du « Grand Benare », dressé au sommet d’un « rempart » d’un millier de mètres de dénivelé. On vérifie ici la structure du rempart, immense empilement feuilleté de couches de basaltes, tapissé dans sa partie inférieure de taillis et de bois de couleur qui couvrent des éboulis, de branles plus haut, par endroits la roche apparaît nue.

Dans Mafate

Comme ceux de Cilaos, les paysages du cirque de Mafate sont fortement marqués par l’érosion et le démantèlement. C’est un paysage « ruiniforme », toujours en évolution, sous l’action des eaux. Les implantations humaines actuelles, regroupées sur les îlets, s’offre à la vue : Marla au pied du col, La Nouvelle, …En 1945, le cirque comptait plus de 2000 habitants. Il en abrite actuellement 622 (recensement de 1999). La Nouvelle (129) et Grand Place (123) sont les deux îlets les plus peuplés du cirque. Au pied du rempart du Maïdo, on recense 69 habitants à Roche Plate, 83 à l’îlet aux orangers et 28 à l’îlet des lataniers. L’histoire de ce vaste espace est passionnante, complexe et souvent imprécise. Les noms de lieux et surtout les paysages portent les marques d’une mise en valeur toujours difficile, parfois tragique. Le quotidien y demeure encore rude – malgré l’hélicoptère, le téléphone, la télévision, ou l’Internet … – et souvent incertain pour nombre d’habitants.

Les « marrons » furent les premiers occupants permanents du cirque, probablement venu des hauteurs du Maïdo, ou ayant franchi le Taïbit et réfugiés dans les secteurs les plus reculés et difficiles d’accès, au pied du rempart, lieu idéal de repli. Probablement plus nombreux qu’on ne le pense, constituant des petits groupes organisés, ayant des refuges dans les parois rocheuses des remparts mais parcourant les îlets, ces occupants, vivant de chasse et de cueillette, furent poursuivis tardivement. Le « marronnage » est indissociable d’un mode de (sur)vie fondé sur des déplacements incessants, sur un nomadisme qui constitue probablement une part de cette « identité mafataise ». En effet, l’occupation et la graduelle mise en valeur du cirque ont été marquées par d’incessants mouvements de population d’un îlet à un autre, ou vers l’extérieur, sous la contrainte (recherche de terres) ou volontairement, notamment lors d’alliances familiales.

Marla, situé au pied du col du Taïbit, dans le « haut Mafate », abritait 203 personnes (dont 130 enfants), en 1873. Le recensement de 1999 ne signale plus que 16 habitants : ceci témoigne de l’exode vécu par le cirque. Actuellement, deux familles tiennent fermement la place… Les 90 hectares de ce petit plateau sont très partiellement exploités. Cet espace pourrait constituer un point de développement, accessible depuis Cilaos, comme de Salazie, car c’est un lieu de passage obligé, une halte dans un site grandiose, exposé toutefois à des risques certains liés à des éboulements toujours possibles des parois rocheuses assez proches, dont certaines sont instables. À Roche plate, la situation est bien plus précaire encore. L’habitat est sous la menace directe d’effondrements, d’éboulements, de mouvements de masse venant du rempart tout proche. L’îlet est d’ailleurs né de ces éboulements successifs, finalement stabilisés.

De Roche plate à La Redoute

Le Rempart du Maïdo constitue un accident géologique majeur, avec un dénivelé brutal de plus de 1000 m : on en convient sans peine lorsqu’on le longe, avant comme après Roche plate. Au pied de ce rempart, bien que des sources existent localement, c’est une impression de sécheresse qui prévaut, notamment lorsque l’on observe la végétation. Cette végétation, qualifiée de « xérophile » (adaptée à la sécheresse), est principalement composée de fourrés d’arbustes, notamment des acacias (Leucanea leucophala), mais aussi de « Chocas ». Le choca vert était autrefois cultivé. C’était en effet une plante très utile car les fibres des feuilles permettaient de fabriquer des cordes et les longues hampes, une fois évidées et mises bout à bout, servaient de canalisations entre les sources et les cases.

Dans cette partie du cirque, les ressources en eaux constituent un apparent paradoxe. En effet, les habitants des îlets que l’on traverse (Roche plate, mais surtout îlet aux orangers et Lataniers), ont régulièrement des difficultés d’approvisionnement, tandis que l’on observe dans les mêmes lieux des installations, parfois impressionnantes, permettant le captage d’eaux qui alimentent en particulier les hauts de Saint Paul, comme la « canalisation des orangers ». Le cirque est « équip頻 de captages et d’installations faisant partie du grand projet de « transfert des eaux ».

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Une vue de Deux-bras (confluence de deux rivières : rivière des galets et bras de Ste Suzanne), prise en direction de l’intérieur du cirque de Mafate, depuis la première partie du sentier aboutissant à Dos d’âne A l’arrière plan : le massif du Gros Morne. Dans la vallée principale : la rivière des galets (remarquer les terrasses alluviales). Sur la gauche du cliché, la partie finale du Bras de Ste Suzanne et la crête d’Aurère. (Cliché : Th. Simon, 2009).

La variante de parcours (2010) qui franchit le massif de la Montagne sur son rebord externe surplombant est intéressante à un double titre. Les coureurs empruntent un magnifique sentier empierré, le sentier Crémont (datant du XVIII ème siècle : première et belle infrastructure pérenne de franchissement de la Montagne) – encore appelé « sentier des Anglais : car il fut emprunté par les troupes anglaises en 1810 lors de la conquête de l’île…- : ce paysage « patrimonial » peu ombragé se mérite car il y fait souvent, notamment ne milieu de journée, une très forte chaleur… En outre, ce sentier permet d’apercevoir une belle végétation de « forêt semi-sèche », telle qu’elle couvrait une grande partie des mi-pentes de l’île avant qu’elle ne soit largement dévastée par les activités humaines : il ne resterait que 1% de cette forêt, celle précisément traversée ici par la course…

Après avoir dépassé le radar météorologique du Colorado, puis la « zone de loisirs », on entame la fameuse « dernière ligne droite »… Elle permet de perdre de l’altitude sur le versant Ouest de la vallée de la rivière Saint Denis. Mais cette dernière « ligne droite » n’est précisément pas très droite, sauf pour ceux qui sans vergogne n’hésitent parfois pas à « couper » au plus court ! Elle se déploie en nombreux lacets successifs. Ils nous donnent l’impression de faire régulièrement demi-tour, dans des chaos de blocs, sur un versant très dégradé car régulièrement soumis à des incendies destructeurs. À La Redoute, le combat s’achève… Mais, dans un ultime effort, on se souviendra que les 7 et 8 juillet 1810, une vraie bataille y opposa Anglais et Français. La Redoute accueille désormais, dans son stade, les « fous », rescapés de la « diagonale » insulaire.

Cette « diagonale des fous » est une aventure toujours exceptionnelle. Elle représente beaucoup pour La Réunion car elle s’est inscrite dans son patrimoine. Bien plus qu’un simple événement sportif annuel, elle donne de l’île une image qui reflète sa réelle diversité. La très grande variété de paysages et lieux chargés d’histoire qui sont traversés est à l’image d’une île complexe et paradoxale : du quasi désert lunaire de la plaine des sables aux forêts les plus humides, de la froidure nocturne Mafataise à l’intense chaleur méridienne subie sur un sentier découvert, les coureurs vivent, tous ensemble, mais chacun à son rythme et dans sa quête personnelle, une aventure unique, jamais semblable d’une « édition » à une autre, une aventure toujours marquante.

juillet 17th, 2012 by